mercredi 1 décembre 2010

Correspondance avec un prolétaire en recherche de voie révolutionnaire

Voici la correspondance que nous avons eue avec un contact habitant hors de Montréal. La discussion traite de sujets généraux comme la révolution, l’organisation du prolétariat ou encore le capitalisme. Évidemment, il y a plusieurs divergences entre nous sur de nombreux sujets. Mais, cette correspondance reste une très bonne discussion fraternelle entre un prolétaire en recherche de voie révolutionnaire et un noyau d’avant-garde communiste. Nous ne pouvons qu’espérer que ce type de discussion se multiplie au sein de la classe ouvrière.

Notre réponse en rouge suit chaque paragraphe du texte de notre contact.

Salut à vous tous,

Le temps file si vite, il y a déjà plusieurs mois qu’on s’est rencontré. J’ai été très occupé ces derniers mois (pas par le travail salarié rassurez-vous) mais j’ai pris quelques moments pour pas que vous pensiez que je ne sympathise plus avec votre mouvement.

Je tiens d’abord à préciser que ma vision de l’organisation mondiale idéale pour notre futur est toujours en constante évolution. Je suis bien en accord avec les communistes internationalistes sur bien des points : décadence du capitalisme, exploitation du prolétariat par la classe dominante, syndicat nuisible, divisions de la classe ouvrière (selon l’ethnie, le travail, l’orientation sexuelle, etc.) Le but de mon message est de mieux comprendre votre position et vous exposer quelques réflexions.

Tout d’abord, faut dire que j’ai été surpris du peu de force présente dans votre organisation. Je croyais que c’était un mouvement de masse important de plusieurs milliers de personnes mais loin de là. Personnellement, je crois que le soulèvement des masses de prolétaire ne pourra pas se faire tant et aussi longtemps qu’il n’y aura pas de concession de fait par les divers factions de la gauche communiste pour les unifier dans une sorte de comité révolutionnaire chargée de menée à bien la révolution prolétaire. Ce que je cherche seulement à exprimer c’est que énormément de gens de diverses écoles de pensée souhaitent le renversement du capitalisme mais ils sont tellement divisés dans les nombreux groupes de protestation que leurs effets est nul. Les gens ont des raisons bien différentes de vouloir participer à la révolution et à la destruction du système totalitaire marchand qui nous contrôle aujourd’hui.

Bien sûr nous ne sommes très peu nombreux et ce, bien malgré nous! Nous ne sommes qu’un petit noyau de militants révolutionnaires mais, évidemment, comme nous voulons construire le parti international et internationaliste, nous voulons grossir nos rangs, aller chercher les éléments révolutionnaires de notre classe et créer ce que tu appelles « un mouvement de masse ». Il est certain que le facteur « nombre » est important dans le processus de la révolution communiste, ce sera le prolétariat dans sa majorité qui fera la révolution. Mais dans des périodes comme aujourd’hui de fin de contre-révolution et de préparation de la révolution, le facteur « qualité » est tout aussi sinon plus important. Ce facteur « qualité », c’est le programme politique des organisations du prolétariat que les luttes et expériences passées lui ont légué. Malheureusement, aujourd’hui seules les faibles forces des organisations de la gauche communiste revendiquent ce programme politique de la classe ouvrière. Mais pourquoi les forces de la gauche communiste sont-elles si faibles??? Cela est essentiellement dû à la contre-révolution qui perdure, avec seulement une petite interruption lors des années’70 qui avait d’ailleurs vu les forces de la gauche communiste se multiplier, depuis les années’30. Les forces de la gauche communiste ont été très puissantes au début des années ’20, par exemple elles dirigeaient le parti communiste d’Italie et avaient leur propre parti en Allemagne, le KAPD, qui revendiquait quelque 50 000 membres. Par contre, avec la défaite des révolutions partout en Europe, incluant en Russie, et le début de la contre-révolution, les forces de la gauche communiste ont commencé à fondre comme neige au soleil. Aujourd’hui, de ses héritiers directs il ne reste que le CCI, la TCI et les divers partis bordiguistes.

Pour ce qui est de l’unification et des concessions de l’ensemble de la gauche, il y a une chose importante à savoir. Il faut déterminer quelles sont ces organisations dans la gauche qui sont réellement des organisations du prolétariat, qui sont sur des positions de classe. Ces positions de classe pour nous, c’est le parti international et internationaliste, la dictature du prolétariat, les conseils ouvriers, rejet des syndicats et du parlementarisme, etc. Toutes les organisations qui ne défendent pas ce genre de positions sont, pour nous, des organisations de la bourgeoisie. Ainsi, la social-démocratie est passée dans le camp de la bourgeoisie quand elle a participé à la Grande guerre. De même, les trotskistes sont passés dans le camp de la bourgeoisie quand ils ont lutté pour la défense de l’État bourgeois contre les fascistes pendant la 2e guerre mondiale. Sans parler des maoïstes et des staliniens qui eux sont ouvertement pour le capitalisme… d’État ! Bref, comme tu peux le voir une grosse partie de la gauche fait maintenant partie intégrante du camp bourgeois. Toute action commune avec ces groupes est, à notre avis, inutile et même nocive. Ce sont là les positions classiques de la gauche communiste : rejet des fronts populaires, uniques, anti-fascistes. Évidemment, ces actions communes ou discussions sont à mettre de l’avant au sein des groupes de la gauche communiste (CCI, TCI, PCI) même si elles sont difficiles ces temps-ci.

En Russie, 1917 la famine avait poussé bien des gens dans la rue, et c’est par une sorte d’opportunisme que le mouvement communiste s’est emparé du pouvoir. Tous les habitants qui ont participés à la révolution d’octobre étaient-il tous des communistes bolchéviques? Pas convaincu. À mon humble avis, Lénine a profité du vent de changement et de la chute du régime tsariste pour mener le peuple russe selon sa propre conception du communisme. Un pays aussi rural ne pouvait pas être entièrement autosuffisant et autonome. La Russie a donc été menée de force vers une industrialisation massive où le peuple agissait comme armée de travailleurs au service de l’état. La Russie n’a donc jamais été vraiment communiste mais elle pratiquait une sorte de capitaliste d’état. Voilà pour l’illusion communiste tel qu’on aime nous le montrer. Voyez le méchant communiste : c’est Mao, Staline, la perte de la liberté d’expression, les goulags, le travail forcé, etc. C’est la conception du communisme que l’idéologie dominante vise à propager pour que les gens aient peur du communisme et accepte tout les abus de la société totalitaire marchande dans laquelle on vit aujourd’hui.

En Russie en 1917, ce n’est pas le mouvement communiste, pris dans le sens de parti communiste, qui a pris le pouvoir, mais c’est bien la classe ouvrière qui a pris le pouvoir à l’aide d’une nouvelle forme d’organisation, les conseils ouvriers. Les prolétaires russes n’étaient de toute évidence pas tous membres du parti bolchévik. Mais ils suivaient massivement la direction politique qu’assuraient les bolchévik. Par direction politique, je veux dire les mots d’ordre, la propagande, les actions proposées, etc. Bref, les bolchéviks agissaient comme une minorité consciente du prolétariat qui essayait de conscientiser ses propres frères et soeurs de classe.

Le caractère économiquement arriéré de la Russie à l’époque de la révolution est bien sur un facteur qui à contribué au début de la contre-révolution en Russie qui s’est achevée par un régime capitaliste d’État complètement barbare, représenté par, comme tu le dis, Staline en URSS et Mao en Chine. Mais ce n’est pas le seul facteur. Il faut toujours analyser les situations révolutionnaires sur un plan international. Ainsi, comme toi, nous reconnaissons que la révolution doit être internationale pour vaincre. Au niveau international, les révolutions en Allemagne, Autriche, l’est de la France, Hongrie, Italie ont tous été écrasées par une contre-révolution vers le début des années’20. La Russie révolutionnaire se trouvait donc complètement isolée, ce qui fatalement allait produire une contre-révolution et elle se produira sous le stalinisme. La Russie n’a donc, comme tu l’affirmes, jamais été communiste. Cependant, un mouvement communiste et révolutionnaire a tout de même tenté, durant quelques années, de créer les bases d’une société communiste.

La gestion de la production de l’entreprise ou l’usine par les travailleurs semble logique de prime abord mais quelques doutes planent dans mon esprit à ce sujet. Que fait-on des entreprises néfastes pour l’environnement. Qui décidera de fermer l’endroit où il travaille car les biens produits n’est d’aucune utilité dans le nouveau monde crée? On remet en question la propriété privée des entreprises et non leur utilité sur la planète. Ce n’est pas le mode de gestion des entreprises qu’il faut remettre en jeu mais tout le mode de vie occidental de consommation de masse. Imaginez le nombre incroyable de gens de nos jours qui se retrouverait sans travail car le boulot qu’il faisait n’apportais rien à l’humanité (assurance, banque, avocat, producteur de gadget, etc.) Qui décidera de ce qui doit continuer d’être produit et de la quantité nécessaire pour chaque personne?

Dans la société communiste, les êtres humains, ayant repris le contrôle de leur vie, de ce qu’ils produisent et en étant conscient que leur activité a un impact sur la biodiversité, réduiront, voire arrêteront les industries trop polluantes. On ne peut pas prédire l’avenir avec certitude, mais nous croyons que c’est une avenue forte possible et réalisable. La décision de fermer des usines polluantes reviendrait sans doute aux conseils ouvriers de ce territoire (conseils d’usines avoisinantes, conseils de quartiers, etc.)

Il est clair que le capital, pour s’autovaloriser ou plus simplement pour qu’il puisse « faire plus de cash avec son cash! », créer une multitude de besoins futiles à l’aide par exemple de la publicité. Mais, avec l’élimination du capital, ces besoins futiles vont, à termes et non instantanément, disparaître. Pour éliminer le capital, il faut éradiquer ce qui est à sa base, c’est-à-dire le travail salarié. Et pour éradiquer le travail salarié il faut en quelque sorte « remettre en jeu le mode de gestion des entreprises. »

Les gens ne se retrouveront jamais sans travail dans la société communiste puisque que le travail salarié y sera aboli. Les gens n’auront plus à vendre leur force de travail pour survivre. Ainsi, chacun donnera en frais de tâches ce qu’il est en mesure donné à la société et recevra de celle-ci tous ce qu’il a besoin. D’ailleurs l’élimination des jobs qui ne servent plus à rien pourra faire en sorte, parmi une multitude d’autres facteurs comme l’élévation des forces productives, que les gens auront plus de loisirs. La production et la distribution (pour la consommation) seront centralement décidées et planifiées par les travailleurs eux-mêmes dans leurs conseils ouvriers.

J’aime bien l’idée des narodniks (mouvement en Russie fin 1800) et aussi le municipalisme libertaire. Le territoire est divisé en petites entités indépendantes qui se réunissent sous une forme de fédération composée de 4-5 villages maximum. Les décisions peuvent être prises en commun dans des conseils de paysans et d’ouvriers qui y travaillent. Certes, ces habitants ne vivent pas dans le luxe mais la libération du travail salarié et le sentiment d’appartenance à la communauté compense pour les biens matériels qui constituent nos chaînes d’aujourd’hui.

Je ne connais que superficiellement ces courants de pensée. On pourrait donc avoir une discussion approfondie, ce serait souhaitable, sur ce sujet. Mais à première vue, ce genre de courant de pensée ne lutte pas pour le socialisme, mais pour un retour en arrière vers des modes de production à caractère nettement féodal et moyenâgeux. L’essor du capitalisme, par rapport au féodalisme, était un progrès. En effet, le mode de production capitaliste et l’amélioration de la technique (ou technologie) qui est son corollaire donne la possibilité aux êtres humains de se libérer du travail salarié et d’assouvir l’ensemble de leurs besoins. Il faut bien sur, comme préalable, une révolution communiste!

L’être humain moderne, lobotomisée, agit en vrai robot. Travailler et consommer sont les deux choses qui occupent la plupart de sont temps. Pendant ce temps, la classe dominante retire profit de la plus-value que l’ouvrier ajoute au produit brut. Les excès du capitalisme actuel sont de plus en plus connus des gens mais ceux-ci étant prisonniers de la spirale de la consommation et de l’endettement, il ne voit pas d’autres options que de vendre son âme pour vivre comme ses semblables. Depuis, l’expansion du libre-échange et la mondialisation des marchés les effets pervers du capitalisme sont encore plus évidents. La machine est bien huilée, la propagande subtile (pas toujours) des médias d’aujourd’hui marche à merveille. Selon elle, il n’y a pas d’autres options possibles, ont tente de nous faire croire qu’en rendant le capitalisme plus humain ou plus contrôlé la situation s’arrangera. Le bonheur est dans le matériel, vivez, travaillez, consommez le plus possible, fondez une famille et soyez un esclave modèle. Tel est le triste destin de l’homme moderne.

Rien à ajouter!

Le mythe du gouvernement protecteur de la population est chose du passée. Celui-ci est main dans la main avec les entreprises et multinationales de ce monde, ainsi on finance des recherches et de nombreux projets avec l’argent public pour que les compagnies privées fassent de l’argent avec ces mêmes technologies (internet, ordinateur, agriculture, médicaments, etc.) Même si je ne suis pas un pro-gouvernement la tendance actuelle à la privatisation des services essentiels (santé, éducation, transport,etc) et à l’octroi de contrat à des compagnies privées par le gouvernement est très inquiétante. On semble dénigrer tout ce qui est gouvernemental, le privé est beaucoup plus rentable, moins de perte de temps…On oublie que sa seule motivation c’est le profit comme en fait foi le scandale concernant la sous-traitance pour l’alimentation des hôpitaux. Mais comment nous sortir de cet enfer ???

La tendance que tu soulignes, c’est-à-dire la tendance selon laquelle les États financent des entreprises privées, est en fait une tendance au capitalisme d’État qui s’est développé durant la période des guerres mondiales et qui n’est, malgré le néolibéralisme, pas tout à fait terminer. L’État étant l’État des bourgeois, il est tout à fait normal qu’il vienne aider ses « chums » quand ceux-ci ne réalise pas ou pas assez de profit, lors des crises économiques par exemple.

Même si l’étatisation de certains services comme les soins ou l’éducation en tant que modernisation du capitalisme était un progrès pour la classe ouvrière, cela ne veut pas dire qu’elle doit lutter strictement contre les privatisations. Le prolétariat n’a pas à choisir entre un capitalisme libéral ou un capitalisme d’État, il doit lutter pour le socialisme. Une lutte pour maintenir le système de santé public est malgré tout une lutte pour le maintien de « l’État providence », dans nos mots pour le maintien du capitalisme d’État. Là où cela devient intéressant, c’est que l’État en coupant dans les services publics, attaque directement le niveau de vie du prolétariat. Le prolétariat, comme en ce moment en France, en Grèce ou en Espagne, luttera contre ces attaques, se défendra.Ainsi, notre job, les communistes, est d’amener notre classe à ne pas lutter pour le maintien de « l’État providence » (au capitalisme d’État), mais pour la révolution communiste. Cela n’empêche pas aux prolétaires de lutter contre les coupures dans les services publics, ces luttes doivent seulement être portées à un niveau supérieur, c’est-à-dire contre l’État capitaliste directement.

La mobilisation des masses doit être organisée, notre point de vue sur l’émancipation de l’humain par l’abolition de l’argent et du travail salarié doit être diffusé au plus grand nombre de gens possible. Bien des gens sont si accaparés par leur travail et leur apparence qu’ils oublient même de regarder grandir leurs enfants, de jouir de la vie. Alors avant que la majorité s’intéresse à l’élimination des rapports de force et d’exploitation présente de nos jours, les poules vont avoir des dents. Désolé pour mon pessimisme, mais il y a loin d’avoir la coupe aux lèvres. Quand on regarde l’accroissement des lois qui protège la propriété privée et la répression exercée par les autorités sur tous les mouvements contestataires du monde (à Toronto récemment), il est difficile d’en faire autrement.

L’acquisition de la conscience de classe pour notre classe, pour qu’elle se mette en action contre le capitalisme, peut être un processus de longue haleine. Cela dépend de pleins de facteurs économiques, sociaux ou historiques. Mais si l’on ne fait rien, ça ne raccourcira pas le processus, au contraire! C’est pour cela que nous militons!

Les États-Unis sont reconnus pour lutter férocement contre toute tentative de pseudo socialisme ou de communisme comme on a pu le voir en Amérique du Sud notamment. Quels moyens doit prendre le prolétariat pour prendre le pouvoir et abolir une fois pour toute cette société qui nous condamne à l’esclavage salarié ??Une grève générale, une révolution armée, des manifestations internationales, un boycott général des biens de consommation?? Il faut être organisée et avoir un plan clair sur le fonctionnement de la société de demain. Le mouvement communiste internationalistes m’a certes convaincu de la nécessité d’une révolution prolétaire mondiale mais il ne m’a pas vraiment éclairé quand au fonctionnement en profondeur de cette éventuelle société.

Comme tu le dis, il est nécessaire de s’organiser, mais pas n’importe comment! Ainsi pour nous, nous devons nous organiser à l’échelle internationale (le prolétariat n’a pas de patrie) et de façon centralisée (le prolétariat a un seul intérêt partout dans le monde : l’abolition du salariat). Cette organisation, ce parti aura la tâche de diriger politiquement les révoltes prolétariennes, les diriger vers leur finalité, la révolution communiste. Ce parti sera constitué des éléments les plus conscients et les plus révolutionnaires du prolétariat. Il aura la tâche d’amener les larges masses du prolétariat vers ses positions de classes. La classe ouvrière prendra le pouvoir à l’aide des conseils ouvriers. Elle réprimera ainsi, probablement dans une guerre civile, la bourgeoisie pour mater la contre-révolution et posera les fondements d’une nouvelle société.

On ne peut pas prédire exactement le fonctionnement de la future société. Nous ne sommes en rien des prophètes. Seulement, on peut apercevoir certains éléments dans les luttes actuelles et du passé qui pourront être les fondements de la nouvelle société, par exemple, les conseils ouvriers, la possibilité technique de travailler 2 ou 3 heures pas jour, la possibilité technique de combler l’ensemble de nos besoins, etc.

Ce fût un plaisir d’avoir fait votre connaissance et tenez moi au courant de vos activités.

Jean

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